Réinventons la République
Par Patrick Apel-Muller.
Le concert de coassements s’élève d’une mare
aux eaux troubles. Il entend détourner l’attention des boues dans lesquelles
s’est ébrouée la Sarkozie. Ici des élections truquées et des facturations
arrangées, là on s’écoute entre amis, ailleurs sont évoqués des financements de
campagne par un dictateur libyen ou bien par de sulfureux et meurtriers
contrats d’armement, des trafics d’influence au cœur de la magistrature avec
violation du secret de l’instruction.
Le tumulte est programmé pour qu’on oublie les
scandales qui peu à peu se dévoilent et, en criant haro sur de biens maladroits
mensonges, de détourner l’attention des relations bien intimes entre un ancien
président soupçonné et un magistrat de haut vol, Gilbert Azibert. Téléphones
anonymes, noms d’emprunts, principauté prisée pour ses flux financiers… on se
croirait dans la Camorra. Nicolas Sarkozy avait choisi pour pseudonyme de ces
conversations hautement sensibles le nom de Bismuth : sait-on que cet élément est utilisé
pour fabriquer des fusibles et sous forme de sous-nitrate, pour soigner les
infections intestinales ? C’est un
choix qui dit beaucoup.
Au pied de cet édifice d’affaires, des
questions demeurent sur l’action du gouvernement, jugé à l’épreuve de l’expérience Cahuzac. Peut-on croire
sur parole Manuel Valls, l’homme qui ne voit rien, n’entend rien et ne demande
rien ? Christiane Taubira
s’est-elle mêlée de l’instruction judiciaire ? Si oui, le fait est grave et peut conduire à une démission.
Sinon, la garde des Sceaux est coupable de s’être empêtrée dans des
calendriers et d’avoir trop voulu prouver. C’est aussi un indice du soupçon
général qui entoure les autorités. Trop souvent fondé.
La morale n’a jamais fait bon ménage
avec l’argent et, là où il
règne en maître, l’éthique est étique. Les conversations enregistrées par le
sinistre Buisson, avec leurs petites bassesses et leur immense courtisanerie,
témoigne d’un relâchement des mœurs, du verbe et de la pensée. Le pouvoir d’un
seul, quel qu’il soit, montre ses limites quand se disperse l’encens des
communicants. Comment échapper à un sentiment de dégoût ? Celui-ci est salutaire s’il ne
conduit pas à détourner les yeux en se bouchant le nez. Il doit au contraire
conduire à une insurrection des consciences, à une réhabilitation de l’opinion
populaire
dévaluée par le culte des marchés, favoriser le contrôle démocratique sur les
décisions politiques, étendre le respect de la chose publique aujourd’hui
refoulée par la puissance des grands intérêts privés.
La justice a besoin d’indépendance et de
liberté. Mais elle n’est pas la seule. L’information dominante aussi, prompte à
entonner les refrains qu’on lui suggère et à embrouiller le débat public. Il ne
faut pas affaiblir encore plus la République – comme le veut le Front national
et comme y contribue un émule de l’extrême droite, Patrick Buisson – mais au
contraire la revivifier, la réinventer, ouvrir une nouvelle ère de la
démocratie. Celle-ci n’a d’avenir qu’en garantissant celui des populations, en
brisant les mécanismes d’accaparement qui creusent sans trêve le fossé entre
une infime minorité richissime et une immense majorité qui voit sa vie se
détériorer. Dans les convulsions économiques que nous connaissons, tandis que
des forces noires émergent en Europe, de l’Ukraine à Paris, la République sera
sociale. Ou elle ne sera plus guère.
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