Cahier de Crise
Faut-il écrire trop en temps de pénurie
? On se demande ce qu’on peut y mettre, dans une chronique de député. Il y
réfléchit sur la marche du monde, alors on lui demande ce qu’il a fait. Il y
rend des comptes, alors on lui dit que ça ne peut pas juste être une liste de
ce qu’il a fait. Il n’ose trop rien y dire de sa vie pour ne pas qu’on lui
reproche de l’étaler. Et puis il se dit qu’il ferait mieux d’écrire juste un
jour, juste une lettre, qui dirait les choses bien comme il faut et bim !
Ce matin, le Président des commerçants
de Martigues m’a répondu en me signalant notamment leur inquiétude pour les
travailleurs non-salariés, pour qui l’aide d’état ne pouvait arriver qu’à
partir de 70% de perte d’exploitation pour le mois de mars. J’ai également reçu
un certain nombre de messages sur le sujet, par exemple de la part des
orthoptistes. Cela fait partie des insuffisances que j’avais pointées dans
l’hémicycle et j’ai encore recommencé ce matin en demandant à nouveau que le
seuil soit abaissé à 50%. Et début d’après-midi, Bruno Le Maire a annoncé qu’il
accédait à cette demande. C’est mieux.
Ce matin encore, interpellation sur les
blouses à usage unique devenues réutilisables (après lavage) pour cause de
pénurie. On s’inquiète maintenant à haute voix du stock de médicaments :
« 9 grands hôpitaux européens lancent un appel à l’aide », titre le
journal Le Monde. Cette question, je l’ai posée depuis longtemps. A l’époque,
on m’avait expliqué qu’on avait imposé la constitution de stocks suffisants et
qu’il n’y avait pas besoin de mesures supplémentaires. Et au début de la crise,
il me souvient avoir réitéré cette préoccupation pour que des choses soient
mises en route. Misère des stocks, misère de la production. C’est sur ce sujet
que le Président de la République s’est exprimé sur le site d’une usine de
masques, à Angers. On nous annonce des arrivages et une augmentation des
capacités de production de masques, et « l’indépendance pleine et
entière de la France d’ici la fin de l’année ». Je renvoie à ma chronique de dimanche... "Le jour d'après ne ressemblera pas au
jour d'avant, a déclaré le Président. Nous devons rebâtir notre souveraineté
nationale et européenne. Nous avons commencé avant la crise. Nous avons passé
des réformes qui permettent à notre pays d'être plus compétitif mais il nous
faut retrouver la force morale et la volonté pour produire davantage en France
et retrouver cette indépendance." Au-delà de la posture de chef de
guerre qui, je dois le dire me paraît toujours plus déplacée, ce qui
insupporte, c’est l’amnésie d’un libéral qui a essayé frénétiquement d’ouvrir
les portes et les fenêtres au marché. Le Président du jour d’avant, c’était
lui. Si nos capacités productives sont dans cet état, c’est parce qu’elles se
sont jouées à la bourse. Et il nous explique qu’il va falloir continuer les
recettes de compétitivité et s’en remettre à l’effort moral pour changer de cap
? Il faudra d’autres choix politiques. L’effort moral... A votre bon cœur,
donc. D’ailleurs, le ministre des comptes publics, Gérald Darmanin lance un
appel à la « solidarité nationale » : « une plateforme de
dons sera mise en ligne pour permettre à tous ceux qui le peuvent, particuliers
ou entreprises, d’apporter leur contribution à l’effort de solidarité de la
nation envers les plus touchés ». Une idée formidable qu’il a eue pour
ne pas se renier, après avoir supprimé l’impôt sur la fortune et multiplié les
cadeaux aux plus fortunés et au monde de la finance. Peut-on dire ça sans être
traité d’irresponsable, monsieur le Président ?
J’ai suggéré à Présidente de la
commission des affaires sociales, dont je suis membre de réunir son bureau, à
l’heure où explosent les questions sanitaires et sociales pour regarder, malgré
les contraintes, comment nous en saisir. Cette réunion se tiendra demain matin.
Demain, je participerai aussi à la
première réunion de la mission d’information sur « l’impact, la gestion et
les conséquences dans toutes ses dimensions de la crise du coronavirus-covid-19
en France ». Nous auditionnerons le Premier ministre et le ministre de la
santé à 18 heures par visioconférence. Aux journalistes qui m’ont interrogé
aujourd’hui, j’ai dit mon scepticisme sur un périmètre qui englobe tout et qui
risque de ne déboucher sur rien (en tout cas, si elle se transforme en
commission d’enquête, ce périmètre aura-t-il un sens et n’éteindra-t-il pas
toute autre tentative plus ciblée ?). Mais je m’emploierai à rendre utile cet
espace. Qu’une mission parlementaire veille et surveille en temps réel dans
cette période de rétrécissement démocratique n’est pas chose mauvaise. La liste
des questions est longue comme le bras : les pénuries, la stratégie de sortie
du confinement, les dividendes qui se versent, les usines qui redémarrent, le
plan pour l’hôpital...
Je vais devoir m’interrompre. Ce que
j’aurais aimé écrire sur ce que dit la pénurie, il faudrait un peu plus de
temps pour le faire. Elle parle de tout ce qui a été abîmé dans cette abondance
trompeuse du tout-marché. Elle parle aussi d’une peur plus intime, que nous
sommes plus forts ensembles pour affronter.
D’autres chantiers avancent. Tiens.
Aujourd’hui, un texte magnifique m’est parvenu de mon ami écrivain Bernard
Fauconnier, pour un projet dont vous aurez bientôt des nouvelles. Quelques
minutes d’une belle respiration. Et une bonne réunion téléphonée s’est tenue
pour préparer une initiative, dont vous entendrez parler d’ici la fin de la
semaine...
La chronique ne raconte pas tout, et
elle court pourtant le risque d’être superficielle. Espérons qu’avec les jours
qui s’empilent, le propos gagne un peu en épaisseur.
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