Texte de Magyd Cherfi (ex-Zebda)
La trahison
J’ai été d’une
école où on aimait ses profs, où après être passé dans une classe supérieure on
passait leur rendre visite, ça épinglait un orgueil de moineau sur nos maigres
poitrines.
J’ai été d’une
école où le nom de « prof » faisait tinter la rétine et briller l’envie d’en
être.
Moi j’allais à
l’école comme on se blottit dans un nid attendant la becquée quotidienne.
J’étais ce privilégié-là, cet engourdi docile aussi. Je guettais l’attention
qu’on allait me porter, la parole qu’on allait me donner, la note aussi.
C’était une école
où j’oubliais que j’étais arabe, pauvre et frustre. Elle me protégeait de la
méchanceté du monde, un monde dur qui voulait pas de mes parents. Elle me
sortait de l’obscurité dans laquelle ils pataugeaient.
J’étais d’une
école où je n’avais plus d’origine mais l’espoir d’en trouver une sans
frontière ni couleur, ni rang social, où les professeurs ressemblaient à des
parents. Les uns les autres se passaient le relais sûrs de divulguer un même
message empreint du respect le plus strict. Les quatre se souciaient qu’on
s’intéresse, nous existions comme un prolongement d’eux-mêmes.
J’étais d’une
école qui admirait ses profs et je rêvais moi de les accompagner au-delà des
heures de scolarité indues tout ça pour m’infuser du plaisir qu’ils avaient à
nous avoir comme élèves. Me rappelle, je voulais même qu’on m’adopte car hors
du sanctuaire me sentais comme un fantôme privé de lumière, presque un
demi-orphelin à qui il manquait deux de ses quatre parents. Privé de cette
attention supplémentaire, me sentais vivre dans un cachot putride, comme privé
d’une pièce aux larges baies vitrées.
Dans cette école,
en échange de leur bienveillance je rassemblais tout ce qui me contenait «
d’intelligent ». Jamais ma mère ne m’a vu chez elle aussi docile ou attentif et
dieu sait (si j’ose dire) qu’elle sacrifia tout pour que je réussisse, qu’elle
ruina jusqu’à épuisement toutes ses réserves de mère. Elle aussi chérissait
cette école et trouvait ahurissant que les détenteurs de tous les savoirs ne
portent pas la main sur moi quand je faiblissais. Ça la sidérait qu’on ait pas
cours à Pâques, Noël, juin et juillet.
Sans cette école
que l’on dit gratuite, laïque et obligatoire la vie lui serait apparue
insensée. Quant à moi je l’avoue, je me suis plus aimé en élève qu’en enfant de
la rue car à dix sept heures sur le trottoir d’en face j’entendais : « rentre
chez toi bougnoule ! »
À l’aune de tous
ces défis nouveaux, je dis que cette école existe encore et elle raconte
toujours l’histoire des hommes, offre encore une famille, une terre, des
valeurs et enfin notre libre arbitre.
Alors je peux le
dire, moi Magyd jamais j’aurais tendu mon doigt à un salaud pour désigner comme
victime mon prof d’histoire-géo.
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