Un plan de relance pour les transports collectifs, Laurent BRUNU plan de relance pour
*Laurent Brun est Secrétaire général de la
Fédération CGT des cheminots
Le texte ci-dessous est une tribune écrite par le syndicaliste
Laurent Brun, dans laquelle il ne mâche pas ses mots à l’égard de la politique
ferroviaire actuelle. Outre ses critiques sur la question à
l’encontre du gouvernement actionnaire majoritaire de la SNCF, il esquisse ici
un plan de relance massif du secteur ferroviaire
Je vais me concentrer sur
ce que je connais : le ferroviaire… Plus d’un mois après l’annonce du
déconfinement, manifestement, les usagers ont encore un peu peur de se
retrouver dans les espaces clos que sont les trains. La fréquentation remonte
plus doucement que prévu et pour ceux qui ont le choix, ils semblent
privilégier la voiture individuelle. Cette situation est renforcée par un
pétrole « bon marché », ce qui devrait durer avec la baisse de l’activité
économique. Je ne m’arrêterais pas sur ce point, qui mériterais à lui seul un
développement (paradoxe du marché libre : il favorise la pollution en cas de
ralentissement économique).
Je reste donc sur la logique de « relance » …
première mesure impérative : il faut redonner confiance aux usagers. Ce qui
saute immédiatement aux yeux dans les gares, c’est que malgré la faible
fréquentation, les files d’attentes sont de retour (amplifiées par la
distanciation). C’est le résultat d’une application typique du R/D (Recettes
sur Dépenses). On reprend donc les mesures de gestion classiques : moins
d’activité = moins de personnel. Mais du coup on recréait les files d’attente
et ce n’est pas du tout rassurant. Donc l’une des premières mesures devrait
être au contraire de bannir les attroupements en mettant du personnel en
surnombre à la vente. Pour les trains de l’été c’est la même
logique. La SNCF a expliqué qu’un TGV n’est rentable qu’à partir d’un
remplissage de 70%. Donc on va probablement tenter de remplir les trains à mort
en juillet et août pour retrouver la profitabilité antérieure. La suppression
de TGV va dans ce sens-là. Et ce faisant, la fraction de la population la plus
craintive ne remettra pas les pieds dans nos trains. Il faudrait au contraire
rester dans une offre excédentaire, au moins jusqu’à la fin de
l’année. Évidemment, du point de vue économique c’est délicat. C’est
là que l’Etat et son plan de relance économique pourrait intervenir avec une
aide financière temporaire qui le permette. Il devrait aussi remettre en
cause (ou au moins reporter) sa logique d’ouverture à la concurrence, car il
est clair que la SNCF ne sera pas incitée à prendre des mesures coûteuses pour
rassurer ses usagers dans une situation où elle risque de se faire tailler des
croupières par des compagnies concurrentes… pour l’instant les mesures
sanitaires ou autres peuvent être amorties sur l’ensemble du réseau
ferroviaire… c’est une forme de solidarité nationale qui persiste malgré la
destruction des outils les plus importants dans les dernières réformes
(péréquation tarifaire notamment)… il ne faudrait pas rentrer dans la logique
infernale du fret !
Au-delà du court terme, le plan de relance
ferroviaire devrait marquer une rupture avec la situation antérieure pour
redonner envie aux usagers de croire dans le train, et en convaincre de
nouveaux de changer de mode de déplacement. C’est une occasion inespérée de
report modal. Au-delà de la remise en cause de la concurrence évoquée plus
haut, il convient de ré examiner les choix récents : le rapport Duron sur les
infrastructures (quoi qu’on en pense par ailleurs) présentait 3 scenarii
: 1) la concentration des investissements sur un périmètre réduit de
lignes et l’abandon du reste (2,4 milliards d’euros par an) ;2) des
investissements sur l’ensemble du réseau (3 milliards d’euros par an) ;3) des
investissements supérieurs pour accélérer la réalisation des travaux et
résoudre plus rapidement les problèmes des usagers (4milliards d’euros par
an). Le gouvernement a choisi le scénario que je qualifierais de « 1,5 »
soit 2,7 milliards d’euros par an, mais il a en outre imposé à la SNCF de les
assumer presque exclusivement sur ses fonds propres comme au joyeux temps de la
construction des LGV, grâce à un mécanisme pervers de « dividende » versé par
SNCF Voyageurs à SNCF Réseau. L’une des mesures les plus significative en
faveur du rail serait donc de passer au scénario 3, et que ce soit l’Etat qui
assume en totalité le financement de ces investissements. En
apportant 4 milliards par an pendant 20 ans au système ferroviaire
: – il rééquilibrerait la situation avec le mode routier (dont la
collectivité finance 100% des infrastructures),- il permettrait de résoudre
plus rapidement les problèmes d’infra qui empoisonnent la vie des usagers et
des cheminots,- il permettrait à SNCF Réseau de dégager 2 milliards par an pour
améliorer encore le service public (retour à une politique de prévention dans
la maintenance, arrêt de là sous-traitance, réouverture immédiate des petites
lignes…). Dans le mécanisme de financement des TER c’est l’Etat qui paye les
sillons à la place des Régions, il pourrait donc aussi demander la baisse du
prix des sillons pour ré-attribuer cette somme sous forme de dotation aux
régions afin qu’elles puissent faire face à la perte de recette liée à la
crise…- et il dégagerait SNCF voyageurs de ces obligations (dividende) ce qui
lui permettrait d’améliorer le service offert (réserves de personnels pour
pallier les incidents, présence humaine dans les gares et les trains…) et
pourquoi pas de créer de nouveaux droits (réduction de 90% sur un aller-retour
par an pour chaque français au titre du droit aux vacances… ce qui ferait
découvrir le train à beaucoup de gens et encouragerait le tourisme
intérieur)…
Évidemment, on ne peut pas parler de plan de
relance sans aborder le FRET… les cheminots (y compris ceux des EF privées) ont
assurés : 60 à 70% des trains ont continué à rouler pour assurer
l’approvisionnement de la nation. Mais toutes les compagnies sont dans un
état critique. Cela vient à un moment où l’Union Européenne a déjà fait le
constat de l’impasse de la libéralisation et a donc autorisé discrètement
l’année dernière les États membres à recommencer à subventionner le FRET. Donc
le Gouvernement en profite et va annoncer une aide publique de 100 à 150
millions d’euros. Ce sont bien les subventions qui vont maintenir la pérennité
de l’activité. Mais cela ne va permette que la consolidation des trafics
actuels, en aucun cas un report massif de la route sur le rail, dont nous avons
pourtant cruellement besoin. Il est donc temps d’abandonner la
concurrence, de fusionner toutes les compagnies privées moribondes dans la
SNCF, et de mettre en place une politique plus ambitieuse de report modal,
planifiée, coordonnée avec tous les acteurs (ports, Marchés d’Intérêt National,
grands logisticiens…). La CGT fera des propositions concrètes sur ce point
très bientôt. Alors je
terminerai par ce que va faire le Gouvernement… Même s’il ne nous parle pas
(nous ne sommes que de pauvres salariés, lui il parle avec les patrons), nous
entendons des choses… Et pour l’instant, c’est plutôt tout le contraire de
ce qu’il faudrait : il a imposé à SNCF Voyageurs de verser en juillet un
dividende de 760 millions d’euros à SNCF Réseau. Ils ne veulent pas reconnaître
l’aberration de cette mesure issue de la réforme de 2018 donc ils poussent à ce
qu’elle soit respectée, quitte à tout casser autour.
Ce faisant, le message qu’ils envoient à la
SNCF est : débrouillez-vous pour tenir vos objectifs financiers malgré la
crise, donc pressurez à nouveaux vos salariés, réduisez les investissements
pour vos usagers (sauf si ça touche les multinationales du BTP, dans ce cas
vous maintenez les chantiers comme le CDG Express), revenez à des conditions de
transport dégradées, mais payez ce dividende !Il se murmure aussi que certaines
filiales pourraient être vendues… sont-ce celles dont nous n’avons que
faire car pas ferroviaires et trop éloignées pour représenter un intérêt de
coopération ? Non, ce serait celles qui détiennent du capital ferroviaire en
France (on parle de Ermewa, filiale SNCF à 100%, qui est un loueur de matériel
roulant et possède aujourd’hui les wagons fret par exemple…). Nous sommes
décidément bien restés dans l’ancien monde. Le nouveau ne viendra que par nos
luttes !
Alors préparons nous, syndiquons-nous, organisons-nous, il faut
que ça chauffe !
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