samedi 15 mai 2021

 


LOIS

L’urgence climatique et écologique mérite mieux que cette mascarade

Projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement -

 Par Éliane Assassi  / 10 mai 2021

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi est issu de l’engagement du Président de la République pris devant la Convention citoyenne pour le climat, le 14 décembre dernier. Dans sa stratégie du « en même temps », il exprimait parallèlement un recul net sur les propositions formulées, brisant ainsi la promesse de reprise sans filtre.

Les ONG environnementales ne se sont pas trompées en dénonçant l’arbre qui cache la forêt des renoncements et de l’inaction du Gouvernement. Nous continuons ainsi de penser que les travaux de la Convention citoyenne méritent mieux que l’instrumentalisation, l’artifice référendaire et le fétichisme constitutionnel.

Au-delà de la traditionnelle opération de communication, le piège tendu par le Président de la République était en réalité cousu de fil blanc. Cela n’aura pas empêché la majorité sénatoriale de s’y engouffrer, permettant au Président et candidat Macron de reporter la faute de l’inaction climatique sur un Sénat qualifié de conservateur et de mettre à son avantage une situation délicate pour le pouvoir.

C’est chose faite puisque, hier, jour des marches pour le climat, qui ont réuni plus de 115 000 personnes, Le JDD a fait sa une sur l’abandon du référendum, qui serait acté au plus haut sommet de l’État, avec d’assister à un rétropédalage du Président lui-même.

L’urgence climatique et écologique nécessite pourtant autre chose que ces gesticulations et cette instrumentalisation malhonnête et politicienne non seulement des travaux de la Convention citoyenne, mais également des institutions.

Je dois le dire : nous avions des doutes sur l’usage de ce référendum. En effet, si le peuple reste souverain et que nous sommes favorables à toute consultation populaire, le référendum qui nous est proposé semble démagogique. Par ailleurs, comme cela a été souvent le cas, notamment lors du référendum de 1962 relatif à l’élection du Président de la République au suffrage universel, il ouvre la voie à la personnalisation, transformant ce scrutin en plébiscite pour ou contre Macron.

À l’heure où le bilan environnemental, sanitaire, économique et social de ce quinquennat résonne douloureusement pour nos concitoyens, il est fort à la craindre que ce référendum ne fasse les frais de l’ensemble des causes des mécontentements. Bref, qu’il y soit question de tout sauf d’environnement.

Le choix de l’utilisation de la procédure référendaire est étonnant de la part de ceux-là mêmes qui méprisent la parole du peuple, tout autant que celle des organisations syndicales et de l’ensemble des corps intermédiaires, jouant de toujours plus d’autoritarisme.

Dois-je vous rappeler que, lorsque nous demandions la tenue d’un référendum sur les retraites ou sur la privatisation d’ADP, c’était le silence ?

Par ailleurs, réduire la nécessité de modifier la Constitution à son article premier méconnaît l’exigence plus large d’une réforme engageant un réel rééquilibrage des pouvoirs et le renforcement de la souveraineté populaire. L’exigence démocratique n’est-elle pas d’une grande urgence, y compris pour avancer sur la question environnementale ?

En est-il toujours question, à la suite des annonces contradictoires avant même le vote du Sénat ? Que faisons-nous ici ? Vous nous devez des explications, monsieur le garde des sceaux.

Là encore, le présent texte méconnaît gravement la conception que nous avons d’une démocratie parlementaire. Vous l’avez dit, monsieur le garde des sceaux, ce projet de loi, c’est dix-sept mots – pas un de plus, pas un de moins –, témoignant d’une vision assez peu républicaine du Parlement, devenu une simple chambre d’enregistrement du fait du prince. Nous ne l’acceptons pas !

Pour en venir au contenu du texte, nous estimons qu’il s’agit d’une manœuvre dilatoire. Selon le Gouvernement, ce projet de loi instaure un principe d’action positif. Monsieur le garde des sceaux, vous avez vous-même fait état d’une « quasi-obligation de résultat ». Nous sommes pourtant loin du compte, et ce quels que soient les termes employés, car ce projet de loi n’apportera rien à l’existant et qu’aucune obligation de résultat ne pèsera sur les pouvoirs publics.

Ainsi, il s’agit d’une mention inutile, puisque la Charte de l’environnement, intégrée au bloc de constitutionnalité, a d’ores et déjà valeur constitutionnelle. Par ailleurs, la portée de la Charte fait l’objet d’une évolution constante de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Le 31 janvier 2020, ce dernier a rendu une décision énonçant que le respect du droit à la santé et à l’environnement est un objectif de valeur constitutionnelle. Le Conseil se réfère explicitement au considérant de la Charte, garantissant ainsi à l’ensemble du texte la même force juridique. Dans une décision du 10 décembre 2020, le Conseil Constitutionnel a été plus loin en jugeant que les limites apportées par le législateur à la Charte de l’environnement « ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi ».

Cette évolution traduit une prise de conscience aiguë des enjeux environnementaux, permettant une montée en puissance de la valeur juridique de la Charte de l’environnement au gré d’une jurisprudence évolutive. L’État est déjà soumis à une obligation de lutte contre le changement climatique au regard de ses engagements internationaux… C’est d’ailleurs sur ces derniers que se fonde le recours administratif contre l’État pour carence fautive dans « l’Affaire du siècle »…

La question est donc de savoir si la proposition de modification de l’article 1er améliore ou non l’état actuel du droit. Je répondrai en sept points.

Premièrement, certains juristes déplorent – nous partageons leur analyse – un recul des termes par rapport à la Charte de l’environnement, puisqu’il est prévu d’introduire à l’article 1er de la Constitution que la République « garantit la préservation de l’environnement ». Il n’est ici nullement question d’améliorer l’environnement, voire de le réparer, comme le précise l’article 2 de la Charte. Cette posture défensive apparaît largement contestable et ouvre la voie à une régression.

Deuxièmement, telle qu’elle est formulée, la phrase suscite des interrogations. Elle renvoie à la notion de « République ». Or la République n’est pas une personne, ce qui explique que l’article 1er de la Constitution renvoie surtout à des valeurs et non à une politique. Ainsi la notion de « République » ne permet-elle pas de garantir un quelconque recours en responsabilité.

Troisièmement, le Conseil d’État lui-même pointe les difficultés que pose la rédaction proposée, qui distingue trois sous-thèmes : la préservation de l’environnement, la diversité biologique et la lutte contre le changement climatique. Cette rédaction remet en cause l’aspect globalisant de la notion d’environnement, pourtant reconnu par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et l’esprit de l’article 110-1 du code de l’environnement. Une telle rédaction s’articulera en outre difficilement avec la définition du domaine de la loi, telle qu’elle figure à l’article 34 de la Constitution.

Quatrièmement, rien n’empêchera le Conseil constitutionnel, comme il le fait toujours dans le cadre du contrôle de proportionnalité, de mettre en balance le droit de l’environnement et d’autres principes ou libertés constitutionnels. En effet, très peu de droits sont aujourd’hui dits « indérogeables » ou intangibles. L’inscription à l’article 1er qui nous est proposée n’apporte donc aucune garantie sérieuse sur la future jurisprudence du Conseil constitutionnel, contrairement à ce que j’ai pu entendre en commission sur une prétendue hiérarchie des principes constitutionnels.

Ce constat a d’ailleurs conduit le Conseil d’État à demander au Gouvernement de préciser la portée juridique réelle de la disposition qu’il propose.

Cinquièmement, nous redoutons que cette révision constitutionnelle n’entraîne une judiciarisation accrue des politiques environnementales et un renforcement du rôle du juge, ce qui ne serait pas le gage de réels progrès. Au contraire, cela entraînerait une forme de dessaisissement des pouvoirs publics. Le juge ne peut être un vecteur pour imposer de nouvelles contraintes environnementales, sans poser la question de l’adhésion à la norme.

Les promoteurs de cette réforme arguant qu’il s’agit de donner un appui supplémentaire au juge constitutionnel, nous en profitons pour rappeler notre critique du Conseil constitutionnel, organe politique illégitime.

Enfin, et cela sera mon dernier point, la vaine discussion qui a agité la commission des lois sur les verbes « garantir », « favoriser » et « lutter » ne nous semble pas essentielle. Ce débat est largement surjoué. On peut en effet déduire de l’article 61-1 de la Constitution que l’ensemble des droits et libertés constitutionnels sont « garantis ».

Par ailleurs, certains droits sont déjà « garantis » dans la Constitution, notamment dans son préambule. Pour autant, ces droits ne sont pas appliqués. C’est malheureux et nous le déplorons ! Ces droits restent le plus souvent largement fictifs. Ainsi, la Constitution garantit à la femme des droits égaux à ceux de l’homme, elle garantit à tous la protection de la santé et un égal accès à l’instruction et à la culture. Par ailleurs, l’alinéa 5 du préambule de 1946 consacre le droit d’obtenir un emploi. Malgré cela, ces droits sont insuffisamment protégés.

À l’inverse, d’autres évolutions constitutionnelles ou législatives auraient des effets réels et directs. Il est ainsi nécessaire de compléter la Charte de l’environnement par des principes qui sont aujourd’hui de nature législative : la solidarité écologique, l’utilisation durable des ressources et, surtout, la non-régression. Tel est le sens des amendements que nous vous soumettrons.

Enfin, et surtout, référendum ou non, la protection de l’environnement requiert des politiques publiques et des moyens financiers, et non des politiques du rabot comme celles qui frappent le ministère de la transition écologique ou des décisions comme celles qu’à récemment prises le Gouvernement sur le glyphosate et les pesticides.

Pour l’ensemble de ces raisons, et au regard du jeu de dupe que constitue l’examen de ce projet de loi constitutionnelle, le groupe CRCE votera contre ce texte. L’urgence climatique et écologique mérite mieux que cette mascarade.

 


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