L’urgence
climatique et écologique mérite mieux que cette mascarade
Projet de loi constitutionnelle
complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de
l’environnement -
Par Éliane Assassi / 10 mai 2021
Monsieur le président,
monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi est issu de
l’engagement du Président de la République pris devant la Convention citoyenne
pour le climat, le 14 décembre dernier. Dans sa stratégie du « en même
temps », il exprimait parallèlement un recul net sur les propositions
formulées, brisant ainsi la promesse de reprise sans filtre.
Les ONG
environnementales ne se sont pas trompées en dénonçant l’arbre qui cache la
forêt des renoncements et de l’inaction du Gouvernement. Nous continuons ainsi
de penser que les travaux de la Convention citoyenne méritent mieux que
l’instrumentalisation, l’artifice référendaire et le fétichisme
constitutionnel.
Au-delà de la
traditionnelle opération de communication, le piège tendu par le Président de
la République était en réalité cousu de fil blanc. Cela n’aura pas empêché la
majorité sénatoriale de s’y engouffrer, permettant au Président et candidat
Macron de reporter la faute de l’inaction climatique sur un Sénat qualifié de
conservateur et de mettre à son avantage une situation délicate pour le
pouvoir.
C’est chose faite
puisque, hier, jour des marches pour le climat, qui ont réuni plus de 115 000
personnes, Le JDD a fait sa une sur l’abandon du référendum, qui serait acté au
plus haut sommet de l’État, avec d’assister à un rétropédalage du Président
lui-même.
L’urgence climatique et
écologique nécessite pourtant autre chose que ces gesticulations et cette
instrumentalisation malhonnête et politicienne non seulement des travaux de la
Convention citoyenne, mais également des institutions.
Je dois le dire :
nous avions des doutes sur l’usage de ce référendum. En effet, si le peuple
reste souverain et que nous sommes favorables à toute consultation populaire,
le référendum qui nous est proposé semble démagogique. Par ailleurs, comme cela
a été souvent le cas, notamment lors du référendum de 1962 relatif à l’élection
du Président de la République au suffrage universel, il ouvre la voie à la
personnalisation, transformant ce scrutin en plébiscite pour ou contre Macron.
À l’heure où le bilan
environnemental, sanitaire, économique et social de ce quinquennat résonne
douloureusement pour nos concitoyens, il est fort à la craindre que ce
référendum ne fasse les frais de l’ensemble des causes des mécontentements.
Bref, qu’il y soit question de tout sauf d’environnement.
Le choix de
l’utilisation de la procédure référendaire est étonnant de la part de ceux-là
mêmes qui méprisent la parole du peuple, tout autant que celle des
organisations syndicales et de l’ensemble des corps intermédiaires, jouant de
toujours plus d’autoritarisme.
Dois-je vous rappeler
que, lorsque nous demandions la tenue d’un référendum sur les retraites ou sur
la privatisation d’ADP, c’était le silence ?
Par ailleurs, réduire la
nécessité de modifier la Constitution à son article premier méconnaît l’exigence
plus large d’une réforme engageant un réel rééquilibrage des pouvoirs et le
renforcement de la souveraineté populaire. L’exigence démocratique n’est-elle
pas d’une grande urgence, y compris pour avancer sur la question
environnementale ?
En est-il toujours
question, à la suite des annonces contradictoires avant même le vote du
Sénat ? Que faisons-nous ici ? Vous nous devez des explications,
monsieur le garde des sceaux.
Là encore, le présent
texte méconnaît gravement la conception que nous avons d’une démocratie
parlementaire. Vous l’avez dit, monsieur le garde des sceaux, ce projet de loi,
c’est dix-sept mots – pas un de plus, pas un de moins –, témoignant d’une
vision assez peu républicaine du Parlement, devenu une simple chambre
d’enregistrement du fait du prince. Nous ne l’acceptons pas !
Pour en venir au contenu
du texte, nous estimons qu’il s’agit d’une manœuvre dilatoire. Selon le
Gouvernement, ce projet de loi instaure un principe d’action positif. Monsieur
le garde des sceaux, vous avez vous-même fait état d’une
« quasi-obligation de résultat ». Nous sommes pourtant loin du
compte, et ce quels que soient les termes employés, car ce projet de loi
n’apportera rien à l’existant et qu’aucune obligation de résultat ne pèsera sur
les pouvoirs publics.
Ainsi, il s’agit d’une
mention inutile, puisque la Charte de l’environnement, intégrée au bloc de
constitutionnalité, a d’ores et déjà valeur constitutionnelle. Par ailleurs, la
portée de la Charte fait l’objet d’une évolution constante de la jurisprudence du
Conseil constitutionnel.
Le 31 janvier 2020, ce
dernier a rendu une décision énonçant que le respect du droit à la santé et à
l’environnement est un objectif de valeur constitutionnelle. Le Conseil se
réfère explicitement au considérant de la Charte, garantissant ainsi à
l’ensemble du texte la même force juridique. Dans une décision du 10 décembre
2020, le Conseil Constitutionnel a été plus loin en jugeant que les limites
apportées par le législateur à la Charte de l’environnement « ne sauraient
être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif
d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi ».
Cette évolution traduit
une prise de conscience aiguë des enjeux environnementaux, permettant une
montée en puissance de la valeur juridique de la Charte de l’environnement au
gré d’une jurisprudence évolutive. L’État est déjà soumis à une obligation de
lutte contre le changement climatique au regard de ses engagements
internationaux… C’est d’ailleurs sur ces derniers que se fonde le recours
administratif contre l’État pour carence fautive dans « l’Affaire du
siècle »…
La question est donc de
savoir si la proposition de modification de l’article 1er améliore ou non
l’état actuel du droit. Je répondrai en sept points.
Premièrement, certains
juristes déplorent – nous partageons leur analyse – un recul des termes par
rapport à la Charte de l’environnement, puisqu’il est prévu d’introduire à
l’article 1er de la Constitution que la République « garantit la
préservation de l’environnement ». Il n’est ici nullement question
d’améliorer l’environnement, voire de le réparer, comme le précise l’article 2
de la Charte. Cette posture défensive apparaît largement contestable et ouvre
la voie à une régression.
Deuxièmement, telle
qu’elle est formulée, la phrase suscite des interrogations. Elle renvoie à la
notion de « République ». Or la République n’est pas une personne, ce
qui explique que l’article 1er de la Constitution renvoie surtout à des valeurs
et non à une politique. Ainsi la notion de « République » ne
permet-elle pas de garantir un quelconque recours en responsabilité.
Troisièmement, le
Conseil d’État lui-même pointe les difficultés que pose la rédaction proposée,
qui distingue trois sous-thèmes : la préservation de l’environnement, la diversité
biologique et la lutte contre le changement climatique. Cette rédaction remet
en cause l’aspect globalisant de la notion d’environnement, pourtant reconnu
par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et l’esprit de l’article 110-1
du code de l’environnement. Une telle rédaction s’articulera en outre
difficilement avec la définition du domaine de la loi, telle qu’elle figure à
l’article 34 de la Constitution.
Quatrièmement, rien
n’empêchera le Conseil constitutionnel, comme il le fait toujours dans le cadre
du contrôle de proportionnalité, de mettre en balance le droit de
l’environnement et d’autres principes ou libertés constitutionnels. En effet,
très peu de droits sont aujourd’hui dits « indérogeables » ou
intangibles. L’inscription à l’article 1er qui nous est proposée n’apporte donc
aucune garantie sérieuse sur la future jurisprudence du Conseil
constitutionnel, contrairement à ce que j’ai pu entendre en commission sur une
prétendue hiérarchie des principes constitutionnels.
Ce constat a d’ailleurs
conduit le Conseil d’État à demander au Gouvernement de préciser la portée
juridique réelle de la disposition qu’il propose.
Cinquièmement, nous
redoutons que cette révision constitutionnelle n’entraîne une judiciarisation
accrue des politiques environnementales et un renforcement du rôle du juge, ce
qui ne serait pas le gage de réels progrès. Au contraire, cela entraînerait une
forme de dessaisissement des pouvoirs publics. Le juge ne peut être un vecteur
pour imposer de nouvelles contraintes environnementales, sans poser la question
de l’adhésion à la norme.
Les promoteurs de cette
réforme arguant qu’il s’agit de donner un appui supplémentaire au juge
constitutionnel, nous en profitons pour rappeler notre critique du Conseil
constitutionnel, organe politique illégitime.
Enfin, et cela sera mon
dernier point, la vaine discussion qui a agité la commission des lois sur les
verbes « garantir », « favoriser » et « lutter »
ne nous semble pas essentielle. Ce débat est largement surjoué. On peut en
effet déduire de l’article 61-1 de la Constitution que l’ensemble des droits et
libertés constitutionnels sont « garantis ».
Par ailleurs, certains
droits sont déjà « garantis » dans la Constitution, notamment dans
son préambule. Pour autant, ces droits ne sont pas appliqués. C’est malheureux
et nous le déplorons ! Ces droits restent le plus souvent largement
fictifs. Ainsi, la Constitution garantit à la femme des droits égaux à ceux de
l’homme, elle garantit à tous la protection de la santé et un égal accès à l’instruction
et à la culture. Par ailleurs, l’alinéa 5 du préambule de 1946 consacre le
droit d’obtenir un emploi. Malgré cela, ces droits sont insuffisamment
protégés.
À l’inverse, d’autres
évolutions constitutionnelles ou législatives auraient des effets réels et
directs. Il est ainsi nécessaire de compléter la Charte de l’environnement par
des principes qui sont aujourd’hui de nature législative : la solidarité
écologique, l’utilisation durable des ressources et, surtout, la
non-régression. Tel est le sens des amendements que nous vous soumettrons.
Enfin, et surtout,
référendum ou non, la protection de l’environnement requiert des politiques
publiques et des moyens financiers, et non des politiques du rabot comme celles
qui frappent le ministère de la transition écologique ou des décisions comme
celles qu’à récemment prises le Gouvernement sur le glyphosate et les
pesticides.
Pour l’ensemble de ces
raisons, et au regard du jeu de dupe que constitue l’examen de ce projet de loi
constitutionnelle, le groupe CRCE votera contre ce texte. L’urgence climatique
et écologique mérite mieux que cette mascarade.