La guerre des vaccins n'aura pas lieu
Il n'est de pire sourd que celui (ou celle) qui ne veut pas entendre, de pire aveugle que celui (ou celle) qui ne veut pas voir. Emmanuel Macron aura beau s'escrimer à la tribune virtuelle de Davos, faisant mine de découvrir qu' « on ne peut penser l'économie sans l'humain », la politique française impulsée au plan national, européen comme international reste formatée par les dogmes néolibéraux.
Malgré les attentes créées par un allusif « quoi qu'il en coûte » à l'annonce du premier confinement, malgré les élans lyriques d'un « monde d'après » promis à l'emporte-pièce, l'arrivée des vaccins contre la Covid-19 se traduit par une série de manœuvres, de dysfonctionnements, d'erreurs dramatiques et de décisions délétères.
Manœuvres quant au choix des accréditations délivrées par l'UE aux vaccins les plus chers sans aucune transparence sur les procédures de sélection ; dysfonctionnements quant à la mise en place des campagnes de vaccination, en France notablement, ou encore les retards de paiement – pour ne pas dire l'absence de rémunération – des personnels soignants mobilisés depuis mars ; erreurs dramatiques quant à la décision de maintenir à moyens (pauvres) constants les services d'urgence et services hospitaliers qui ont retrouvé, à la sortie du premier confinement, le nombre insuffisant de lits dont ils étaient pourvus à la veille de la crise ; et décisions délétères quant aux volumes et répartitions des commandes.
Tout aujourd'hui – la pénurie de vaccins, l'inégalité d'accès au vaccin, les errements quant aux délais de la deuxième injection, l'approche d'un troisième confinement – résulte pour une part non négligeable de la politique menée au plus haut niveau sans concertation ni avec la représentation nationale, ni avec les représentants des salariés et citoyens, sans volonté non plus de coopération et solidarité internationale renforcées.
Soyons justes : la présidence française et son gouvernement ne sont pas les plus mauvais mais ils sont loin, contrairement aux affirmations de Bill Gates tressant des couronnes de laurier à Emmanuel Macron sur France Info le 28 janvier, d'être les meilleurs dans une lutte qui doit articuler des réponses d'urgence et de long terme sur le plan médical, sanitaire, social et économique. De même, il n'est pas question ici de reprendre l'antienne éculée d'une prétendue « humiliation nationale » devant l'absence de « vaccin français » – comme si un vaccin devait avoir une nationalité. Ce sont les chercheurs de notre pays précipités dans la précarité, nos organismes de recherche qui depuis des décennies se voient imposer des coupes budgétaires, qui ont été sciemment privés des moyens de travailler ; et c'est cette politique publique qui est à l'origine de l'affaiblissement du potentiel scientifique et industriel de notre pays. C'est la suppression de l'ISF et les milliards de cadeaux fiscaux aux grandes entreprises qui ont privé en 30 ans l'Institut Pasteur des moyens dont il a besoin pour remplir ses missions et jouer son rôle au plan international. Quand la recherche scientifique française est affaiblie, c'est l'ensemble de la recherche scientifique internationale qui est affaiblie.
La compétition géopolitique que la recherche sur le vaccin puis sa distribution ont déclenché est proprement mortifère et totalement illusoire : aucun pays, aucun continent ne sortira de la pandémie au détriment du reste du monde. Au contraire, la seule voie de lutte contre le virus et de sortie de crise serait d'adopter des politiques publiques nouvelles et offensives de coopération et de solidarité internationales, comme l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en conjure les chefs de gouvernements et d’État depuis longtemps, avant même le déclenchement de la pandémie de Covd19.
En effet, c'est dès septembre 2019 – soit trois mois avant la détection des premiers cas de Covid-19 en Chine – que fut publié le « Rapport annuel sur l’état de préparation mondial aux situations d’urgence sanitaire. Un monde en péril. » par le GPMB1 sur la base des épisodes de pandémie de H1N1 et d'Ebola. Lisons-en ensemble l'ouverture:
« Dans ce premier rapport annuel, le Conseil mondial de suivi de la préparation examine les besoins et les mesures les plus urgents pour accélérer la préparation aux situations d’urgence sanitaire. Le premier rapport est consacré aux épidémies et aux pandémies.
La principale conclusion du rapport est que le monde doit s’efforcer de mettre en place les systèmes et la collaboration nécessaires pour détecter et combattre les flambées épidémiques potentielles. Ces mesures de préparation sont un bien public mondial qui doit permettre de mobiliser de manière constructive les communautés, du niveau local au niveau international, dans les activités de préparation, de détection, de riposte et de redressement. L’investissement dans la préparation aux situations d’urgence sanitaire améliorera les résultats sanitaires, renforcera la confiance de la communauté et réduira la pauvreté, contribuant ainsi également aux efforts déployés pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies.
Les responsables de tous niveaux ont les cartes en mains. Il est de leur responsabilité de donner priorité à la préparation en incluant l’ensemble de la société afin de mobiliser et de protéger tout le monde2. »
Que s'est-il passé de septembre 2019 à mars 2020 pour que les ministères de tutelle, les agences de santé des pays développés et leurs chefs de gouvernement et d’État regardent goguenards d'abord, puis incrédules, enfin accusateurs mais toujours l'arme au pied, l'émergence du coronavirus à Wuhan, sa diffusion en Iran, en Italie, au monde entier sans mise en place de dispositifs appropriés de soin et protection de leur population et d'entraide mondiale pour contenir la pandémie ?
Dès début 2020, l'Organisation internationale du travail (OIT) alertait, nous nous faisions l'écho ici même, sur les conséquences socio-économiques tragiques de la pandémie et de la crise sanitaire : des centaines de millions d'emplois détruits, une résurgence violente de l'extrême pauvreté et un effondrement des niveaux de vie, une détresse psychologique généralisée ; pourquoi alors s'étonner benoitement aujourd'hui que de véritables émeutes de la faim secouent un pays comme le Liban – que le président Macron, encore lui, pressait à la même période d'acquiescer aux injonctions austéritaires du FMI et de la Banque mondiale.
Les forces d'extrême droite tentent de récupérer la colère profonde de chacun-e et des peuples. Au Pays-Bas, des militants « anti-Covid » refusant le port du masque mettent le feu dans les rues de la capitale. Galvanisés par les diatribes trumpistes, bolsonaristes ou, pendant plusieurs mois, du premier ministre britannique actuel jusqu'à ce qu'il soit lui-même infecté, ces réseaux manipulent l'information et cultivent autant le chacun pour soi que la haine de l'autre. Ils alimentent un discours de l'effondrement et de la désespérance, des réflexes de peur panique et de rejet que les errements politiques, l'explosion des injustices sociales et économiques, et l'autoritarisme des gouvernants aggravent encore.
Dans cette situation, la responsabilité des communistes est d'agir pour ouvrir toutes les portes, tous les espaces de rassemblement, mobilisation, solidarité et mise en mouvement populaire pour rendre majoritaires, aujourd'hui, d'autres choix pour notre pays, l'Europe et le monde.
Appuyer partout où elles pointent, les luttes pour la défense de l'emploi et de l'outil de travail, leur donner l'ampleur dont elles ont besoin pour vaincre les plans de licenciements qui s'enchaînent mais aussi pour poser des jalons concrets, avec nos parlementaires et nos élu-e-s dans toutes les instances démocratiques, pour imposer de nouveaux choix : plan de financement d'urgence de l'hôpital, de la santé et de la protection sociale, plan d'urgence et de développement des services publics à commencer par l'école et la formation supérieure, plan de soutien à l'emploi, reprise en main publique des secteurs du médicament, de la santé, de la protection sociale et de la dépendance, réindustrialisation adossée à des coopérations bilatérales, régionales ou internationales axées sur le développement des infrastructures et des services publics, soutien aux collectives locales et territoriales et aux artisans, agriculteurs et commerces locaux.
Nos parlementaires ont présenté et versé aux débats 50 propositions qui dressent une perspective d'avenir qui permettrait de dégager la politique de notre pays des logiques qui la soumettent au service du capital, et qui donnerait le signal, dans l'UE, d'un mouvement de rupture avec les traités budgétaires qui ont affaibli les capacités de développement et conditions de vie et de travail des peuples européens, et au plan international, qui inscrirait la France dans une dynamique nouvelle ou l'ambition de la santé comme bien universel mondial pourrait se concrétiser.
Cette période appelle au déploiement des luttes, débats politiques et idéologiques et à l'émergence de majorités populaires qui fassent de l'intérêt commun et de l'épanouissement de chacun-e l'alpha et l'oméga de l'action politique.
Rien n'est écrit, et la balle est, de fait, dans le camp des peuples, des forces du travail et de la création.
Lydia Samarbakhsh
membre du CEN du PCF
responsable International
1 « Le Global Preparedness Monitoring Board (GPMB) est un organisme indépendant de surveillance et de responsabilisation chargé d'assurer la préparation aux crises sanitaires mondiales. Composé de dirigeants politiques, de directeurs d'agence et d'experts de réputation internationale, le Conseil fournit une évaluation indépendante et complète aux décideurs politiques et au monde sur les progrès vers une préparation et une capacité de réponse accrues en cas d'épidémies et d'autres situations d'urgence ayant des conséquences sur la santé. En bref, le travail du GPMB consistera à tracer une feuille de route pour un monde plus sûr. Créé en réponse aux recommandations du Groupe de travail sur les crises sanitaires mondiales du Secrétaire général des Nations Unies en 2017, le GPMB a été co-organisé par l'Organisation mondiale de la santé et le Groupe de la Banque mondiale et officiellement lancé en mai 2018. Le GPMB est dirigé par ses coprésidents, Elhadj As Sy, secrétaire général de la FICR, et Dr Gro Harlem Brundtland, ancienne première ministre de Norvège et ancienne directrice générale de l'OMS. » Source : https://apps.who.int/gpmb/
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