Éditorial Par Paule Masson
L’oligarchie parade
«Si on ne répercute pas la hausse du baril, la boîte coule.» On se pince. Total, pieuvre énergétique mondiale, qui, avec un bénéfice annuel net de plus de 10milliards d’euros, prend régulièrement le tête du CAC 40 en France, serait mise en difficulté pour quelques dollars de plus par baril de pétrole ! Au milieu du gratin mondial de l’économie, réuni ce week-end lors des Rencontres d’Aix-en-Provence, Christophe de Marjorie, PDG du groupe pétrolier, y est allé de sa petite provocation.
Au Davos provençal, le cercle très fermé des plus grands patrons, financiers, ministres, banquiers, hauts fonctionnaires, représentants d’institutions internationales, s’est penché sur la «régulation du monde». En théorie. Car, pour les plus riches de la planète, ce qui compte, c’est de rester les plus riches de la planète. C’est fait. Selon le dernier palmarès des 500 fortunes françaises publié par Challenges vendredi, «la crise n’est plus qu’un mauvais souvenir pour les riches». Le magazine révèle aussi que la fortune minimale pour intégrer le classement (Fmic) a quadruplé en quinze ans. Et en tire la conclusion : «Les fortunes ont crû six fois plus vite que la moyenne de l’économie du pays ou que ses rémunérations les plus basses.» La spéculation a fait son œuvre mais elle a aussi bâti des empires capables de s’écrouler comme des châteaux de carte.
Le gotha a été surpris par la violence de la crise. Depuis trois ans, les promoteurs du capitalisme
ne trouvent pas d’autres moyens de se tirer de ce mauvais pas qu’en remettant sur les rails, plus fermement encore, les mécanismes qui ont mené à l’impasse : considérer que tout ce qui peut rapporter de l’argent est un «marché», y compris la santé ou l’éducation, veiller à ne jamais entraver la liberté de circulation des capitaux, dégommer tout ce qui ressemble de près ou de loin à de la protection sociale, créer des bulles spéculatives car tant qu’elles n’ont pas éclaté, elles rapportent un max. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la menace d’un nouveau choc économique assombrit le tableau.
« C’est dans la pratique qu’il faut que l’homme prouve la vérité», disait Marx. C’est précisément ce que parviennent de moins en moins à faire les puissants du monde. Chaque jour, la pratique contredit leurs bons mots. Pour relancer leur machine, il n’y aurait pas d’autres solutions que de baisser le coût du travail, de broyer les services publics, de tailler dans les retraites, d’enfermer les budgets des pays dans une camisole européenne, etc. Après la Grèce, l’Italie vient de signer son super-plan d’austérité : 250 000 emplois de fonctionnaires supprimés d’ici à 2014, baisse des pensions et augmentation de l’âge de départ en retraite, ouverture des commerces le dimanche… Les bonnes intentions autour de la «moralisation» du capitalisme, les arguments de fatalité masquent de moins en moins un tout autre dessein, celui de réarmer les marchés financiers.
Et l’opinion publique doute de plus en plus fortement. Malgré tous ses efforts pour changer de peau, Sarkozy reste le «président des riches». Vendredi, son fidèle lieutenant, Henri Guaino, a été appelé à la rescousse. Dans un entretien au journal Libération, le conseiller du chef de l’État qualifie la soirée électorale au Fouquet’s ou les vacances du président sur le yacht de Bolloré «d’épisodes dérisoires». Avec un réflexe agacé, il suggère : «Finissons-en avec la lutte des classes» ! Mais la seule perspective que nous offrent les opulents est d’avaler tout le gâteau de la richesse. Au risque de provoquer une indigestion.
Ce qui compte
pour les plus riches de la planète, c’est de rester les plus riches de la planète. C’est fait.