Pierre Ouzoulias : "Le gouvernement doit accepter de publier les
algorithmes locaux
Publié
le 04.05.2018 à 12H02
Le
fonctionnement des algorithmes locaux est bien connu : ils sont déjà utilisés
par les IUT pour "trier" leurs dossiers. // © Frédéric Maigrot
/ REA
Dans une tribune pour EducPros, le
sénateur communiste des Hauts-de-Seine Pierre Ouzoulias s'insurge contre les
"boîtes noires" que représentent pour lui les algorithmes
d'établissements dans la procédure Parcoursup, estimant qu'ils vont être à
l'origine d'une "sélection sociale".
"Parcoursup collecte par le
biais d’une plate-forme nationale des données relatives à la scolarité et la
vie sociale (CV, lettre de motivation, stages, etc.) des candidats à l’entrée à
l’université. Ces données sont mises à disposition des équipes pédagogiques
pour sélectionner les dossiers des étudiants qu’elles veulent accueillir.
À plusieurs
reprises, la ministre de l’Enseignement supérieur et le secrétaire d'État
chargé du Numérique, Frédérique Vidal et Mounir Mahjoubi, avaient pris
l’engagement solennel que tous ces dossiers feraient l’objet d’un examen
personnel et individuel. La non-hiérarchisation des vœux fait, notamment, que
toutes les filières sont en tension et que les
enseignants-chercheurs n’ont matériellement pas le temps de réaliser ce
traitement.
Sur son blog, Julien Gossa a bien montré que les "moyens
supplémentaires" mis en œuvre par le gouvernement ne permettent de
financer que trois minutes de travail par dossier. Autant dire
que les CV et les lettres de motivation ont bien peu de chances d’être lues !
Pis, il est
certain que de nombreuses universités organisent, en ce
moment, un pré-tri des dossiers pour rejeter ceux qui ne seront même pas
examinés. Cette sélection est réalisée à partir des données de
Parcoursup, à l’aide de tableurs et en fonction de critères qui leur sont
propres : les fameux "algorithmes locaux".
Pour
beaucoup, leur fonctionnement est bien connu puisqu’ils sont déjà utilisés par
les IUT pour "trier" leurs dossiers. Certains d’entre eux, par
exemple, pondèrent les notes de terminale en fonction du classement du
lycée.
Lors de
l’examen de la loi ORE (Orientation et réussite des étudiants) au Sénat, le
gouvernement avait déposé, en séance, un
amendement qui étendait le secret des délibérations
à ces "algorithmes locaux". Les candidats pourront,
en septembre, obtenir des informations sur le rejet de leurs dossiers, mais ces
algorithmes ne seront pas publiés, contrairement à celui de
Parcoursup qui devrait être rendu public. Le média Next INpact qui en demandait
le code source a été débouté et vient de saisir la Cada.
Lors de la
première lecture du projet de loi sur la protection des données personnelles,
par un amendement de la commission des lois sur l’article n°14, le Sénat a supprimé cette procédure dérogatoire et
a réaffirmé la nécessité d’une divulgation des règles de fonctionnement des
"algorithmes locaux".
L’Assemblée nationale
a réintroduit cette disposition et la commission mixte
paritaire a échoué à s’entendre sur un texte commun, notamment en
raison du profond désaccord sur cet article n°14.
La
logique de Parcoursup va accélérer les processus de ségrégation sociale, développer les stratégies de contournement de la carte scolaire et
renforcer le recours à l’enseignement privé.
À l’occasion
de la nouvelle lecture de ce projet de loi, le 16 avril dernier, le
président de la commission des lois, la rapporteure, la sénatrice Sophie Joissains et moi-même, par une motion de renvoi en commission, avons défendu,
contre l’avis du gouvernement, la nécessité de respecter
l’esprit de la directive européenne et donc la publicité de ces
algorithmes. Le Sénat a voté, à l’unanimité, pour la suppression de la
dérogation défendue par le gouvernement.
Il est
malheureusement à craindre que l’Assemblée nationale la rétablisse, lors de la
dernière lecture à venir. Si, comme l’affirme le secrétaire d’État au
numérique, l’objectif du gouvernement est vraiment d’assurer la plus grande
transparence de tous les algorithmes, je ne comprends pas son acharnement à
s’opposer à la version du Sénat. Nous attendons donc de
lui qu’il accepte d’accorder aux algorithmes de Parcoursup et des
établissements le même traitement.
Il ne s’agit
pas d’un détail technique. La nécessité de classer tous les dossiers oblige à
les noter avec une précision allant jusqu’à trois décimales après la virgule.
Julien Gossa montre dans une démonstration statistique irréfutable que "pour la majorité des candidats, la décision d’admission
s’apparente en réalité plus à une forme de tirage au sort qu’à une sélection
juste et éclairée".
J’ajoute
que la pondération des notes en fonction du classement du lycée va
accroître les disparités sociales d’accès à l’université. Quelles
sont les chances d’un candidat d’accéder à l’université si son lycée se trouve
en dernière position de ce classement ? Quasiment nulles ! Et l'on comprend
très bien que la logique de Parcoursup va accélérer les
processus de ségrégation sociale, développer les stratégies de
contournement de la carte scolaire et renforcer le recours à l’enseignement
privé.
Défendre les boîtes noires des "algorithmes locaux", c’est, pour
la ministre de l’Enseignement supérieur, une nécessité pour continuer de cacher
les conséquences immédiates de sa loi : le recours systématique au tirage
au sort et à la sélection sociale."
Pierre
Ouzoulias
Sénateur des Hauts-de-Seine
Vice-président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication
Sénateur des Hauts-de-Seine
Vice-président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication
| Publié le 04.05.2018 à 12H02